Dans
La Quatrième Sœur, Glowacki se moque avec un humour
corrosif de la perception stéréotypée de
l’Est par l’Ouest et, réciproquement, de l’Ouest
par l’Est. La référence aux Trois Sœurs
incite le spectateur à repenser toute une mythologie littéraire
du monde slave.
Le folklore russe plein de mafieux et de vodkas, de Tchekhov et
de Chagall, de babouchkas et de misère côtoie ici
les billets verts, Versace et Julia Roberts. La mafia est internationale
et la vodka ne suffit plus qu’aux généraux
à la retraite. L’univers occidental idéalisé
et ressassé par les personnages de la pièce - l’Amérique
avec ses Oscars, ses comédies romantiques, ses «
américains qui ne peuvent pas mentir » – toute
l’iconographie du succès sur papier glacé
rêvé en quadrichromie par les trois sœurs version
Glowacki – fait également figure de fantasme-baudruche.
L’espérance messianique de ces cendrillons modernes
dopées aux mélos ne résiste pas à
la réalité. Ici, rien ne se passe comme on le croit
: chaque moment d’euphorie se transforme en catastrophe
et inversement. Le spectateur à l’instar des personnages
se voit privé de toute certitude et dépossédé
du confort d’une représentation univoque du monde.
Cet esprit iconoclaste suscite à la fois rire et malaise.
Le rire, ambigu car suscité par une matière tragique,
fait voler en éclat les lieux communs et tient seul lieu
de discours. Les relations entre les personnages empreintes d’une
atmosphère souvent nostalgique et tchékhovienne
et le cynisme des situations qui les confrontent à une
modernité mal maîtrisée créent une
tension tragi-comique perceptible tout au long de la pièce.
Les extrêmes doivent ici coexister : la comédie amère
et la tragédie la plus grotesque ; les marques les plus
clinquantes de l’Occident et les signes immédiatement
repérables d’une Russie traditionnelle. Cette juxtaposition
monstrueuse d’univers opposés, tout en donnant à
la pièce une forte dimension métaphorique, la transporte
dans un univers nouveau gagné par l’irrationnel et
le loufoque.
Le décor, mobile et évolutif, épouse la trajectoire
de la pièce qui s’arrache d’une situation ancrée
dans la réalité, où les personnages évoluent
dans un espace uniforme et fermé, pour basculer dans un
monde porté par le délire. Les repères rationnels
et matériels finissent par déserter en révélant
leur propre vacuité. Deux musiciens accompagnent sur scène
cette fuite, jouant à l’aide d’instruments
traditionnels comme les dernière notes, chaleureuses et
décalées, d’un univers slave mythique et englouti.